Le foncier

FONCIER

La recherche du foncier

La recherche du foncier est une étape sine qua non de tout projet d’habitat participatif. Elle est souvent longue et difficile. Elle configure le projet dans ses dimensions tant en tant qu’implantation qu’en tant que taille de logement et du groupe d’habitants. Elle est la principale étape qui conjugue les projets et les rêves de départ avec les réalisations concrètes et de nombreuses désillusions.

Le recensement des expériences des livres de Pascal Greboval [Vivre en habitat participatif, Alternatives, 2013] et de Yves Connan [L’habitat groupé participatif, Ouest-France, 2012] montrent qu’aujourd’hui la moitié des groupes trouvent leur terrain par les voies classiques du marché. Pour l’autre moitié, le recherche est facilitée par des collectivités territoriales, généralement des municipalités, et bien souvent des bailleurs sociaux. Cette tendance est beaucoup plus forte que lors des années 1970 et 1980.

Nombre de ces expériences de partenariat montrent des avantages – terrain réservé (dans des ZAC ou des terrains hors du marché), décoté au prix du logement social, etc. Mais elle ne démunit pas les futurs habitants des risques de désillusions : les terrains « hors marché » le sont rarement sans raison… Dans une logique de respect de l’intérêt général (au nom de quoi la collectivité aiderait un projet d’habitat au profit d’un autre projet 1), l’octroi de conditions favorables de foncier implique des contre-parties : redensifier des centre-bourgs en déserfication, accepter une nuisance à proximité (usine, ligne à haute tension, route à forte circulation…), se situer dans une dent creuse peu attirante (quand ce n’est pas tout simplement inaccessible, comme l’étaient des proposition de terrain à Brest et à Paris !)… Cela peut entrer en conflit avec la recherche d’un mieux-habiter qui constitue le projet d’habitat participatif. 2

Les problématiques du foncier selon les territoires

Les contraintes en matière de foncier sont très différentes d’un territoire à l’autre. Cela, à tel point que Samuel Lanoë, de la coopérative L’epok, annonce, lors de l’atelier n°4 de E²=HP², “que c’est quasiment impossible de monter un projet d’habitat participatif avec du logement social en milieu urbain. Les contraintes du logement social sont telles qu’on est obligé de tailler dans le cahier des charges dans la philosophie de l’habitat participatif. Jusqu’où on va, c’est une autre question. Aujourd’hui, le foncier en rural fait qu’on a un volant sur le prix du logement. C’est quelque chose à considérer, et il y a un mouvement de l’habitat participatif qui s’intéresse à la question du rural, qui se fait l’écho sur des réflexions d’élus sur la redynamisation des centre-bourgs. À Dol-de-Bretagne, au nord de Rennes, le coût du foncier agricole est à 10€, là où Territoire, l’aménageur de Rennes Métropole, l’achète à 5€ par des procédures d’expropriation, mais au final à Dol-de-Bretagne une ZAC en régie municipale sort à 80€ là où on est à 150, 160€ à Rennes Métropole, parce qu’il y a tout un tas de mécanismes de fiscalité qu’il faut financer dans les espaces urbains. Est-ce qu’un projet d’habitat participatif avec vocation à faire de la mixité sociale est soluble dans ces conditions en milieu urbain, je ne suis pas sûr.”

Ce même Samuel Lanoë, cette fois-ci lors de l’atelier 3 de E²=HP², observe un mouvement des projets d’habitat participatif de l’urbain vers le rural : “ ce qui est parti il y a dix ans d’un mouvement urbain, militant, écolo, est en train de se diversifier à vitesse grand V. Devant l’impossibilité de la plupart des participants aujourd’hui à accéder à l’habitat participatif en milieu urbain, du fait de la difficulté de l’accès au foncier, des coûts, etc., on a un décalage vers les campagnes, mais qui se heurte rapidement avec l’incohérence écologique qui est j’habite à la campagne et je travaille à la ville, le mouvement pendulaire, etc. Aujourd’hui on a une trentaine de projets en Bretagne qui réfléchissent à l’habitat participatif en milieu rural et au développement de l’activité économique sur place, de manière à vivre et travailler au pays, c’est la seule condition pour qu’on soit cohérent globalement. Donc on a un mouvement qui est en train de se diversifier, d’un public plutôt à l’aise qui se déplace en milieu urbain, des personnes âgées, beaucoup, aussi, qui sont sur des réflexions d’être à proximité des commerces, du lien social, etc., et un public beaucoup plus militant qui s’étend vers les campagnes. Et je dirais que c’est un militantisme territorial, parce que aujourd’hui la ville devient un espace privilégié, et pour ne pas souscrire à cette métropolisation, cette conquête des capitaux du travail par les grandes villes, on fait le choix de ne pas accéder directement à un certain nombre de services publics et de commodités que proposent la ville, mais par contre on va proposer autre choses dans les campagnes, en leur proposant un avenir. C’est un peu utopique, mais c’est vraiment ça qu’on en en train d’observer aujourd’hui sur la diversification du mouvement.”

Daniel Cueff, président de l’Etablissement Public Foncier de Bretagne, présente quant à lui, lors de ce même atelier 3 de E²=HP², les problématiques actuelles du foncier du point de vue de son établissement : “ Chaque commune de Bretagne a entre 15 et 20 ans de renouvellement de la ville ou du bourg sur lui-même avant de penser à consommer le premier mètre carré agricole, mais les communes se sont emparées de lotissements à perte de vue, avec des Super U en extension qui ont vidé la centralité. Et il existe dans les centralités un foncier disponible, vous pouvez y aller si vous avez un projet d’habitat participatif, je vous donnerai les adresses du Finistère, vous n’aurez aucun problème pour trouver du foncier. Pas à Brest, malheureusement : les questions d’acquisition du foncier sont extrêmement complexes dans les grandes villes. Là, l’Établissement public vient d’acheter l’hôpital Bodéliau, de le démolir, ça coûte des millions d’euros, nous essayons d’acheter l’ancienne gendarmerie de l’Harteloire à Brest aussi, par exemple. Ce sont des grosses opérations parce qu’il nous faut loger 26000 habitants de plus par an en Bretagne, dont 8 000 rien que sur le bassin rennais. Mais nous avons dans les petites communes et les commune moyennes des espaces à reconquérir. Six projets sont actuellement à l’œuvre, sur six communes de Bretagne, Mellé, Josselin, Huelgoat, Guerlesquin, Guingamp, où nous essayons de faire en sorte que les habitants retournent dans le centre-bourg et le centre-ville. Il y a aujourd’hui des milliers de m² qui sont aujourd’hui en friche, en centralité, il y a là un espace d’appropriation de logement participatif, collaboratif, tout ce que vous voulez. Et là si vous voulez monter des projets, allez-y ! Vous aurez le soutien de l’Établissement foncier public de Bretagne, qui proposera au maire, que vous irez contacter, d’acheter à sa place du foncier, de s’occuper de toutes les problématiques juridiques d’acquisition, de démolition, de dépollution, de diagnostique, la totale, et vous ne paierez même pas un centime parce que c’est un établissement public d’État, donc c’est un service public d’État au service d’une collectivité régionale. Donc il y a là pour l’habitat participatif, collaboratif, partagé, tout ce que vous voulez, un certain nombre de pistes tout-à-fait considérables puisque justement personne ne veut aller dans ces centralités, et surtout pas le logement social, qui trouve que c’est trop loin. Si vous arrivez dans vos imaginaires collectifs, contributifs, à lier l’habitat dans ces bourgs et centre-ville à la mobilité et notamment la mobilité décarbonnée, vous gagnerez, parce que c’est en fait la question de la mobilité, comment je me déplace gratuitement, le véhicule partagé, le véhicule électrique, avec la production électrique qui va bien entendu avec, pour éviter de consommer de l’électricité nucléaire. Lier l’habitat, la mobilité et l’énergie, c’est le triptyque qui permet aujourd’hui à l’habitat coopératif d’être reçu à bras ouverts par les maires et communes de Bretagne, à partir du moment où vous leur dîtes que ça existe déjà et qu’ils peuvent saisit l’EPF par une simple lettre. J’ai acquis au niveau du Conseil d’Administration la possibilité d’être saisi directement par des associations comme Parasol, par exemple, qui aurait un projet de centralité quelque part, de manière à ce que nous puissions, nous, via ces structures, contacter les communes sur un foncier qui aurait été détecté par ces structures associatives et ces associations. Sur les réussites que l’on peut constater, elles sont importantes quand il y a une convergence entre la commune et le projet. Un projet qui se fait contre la commune, ou qui est trop radical par rapport à des nécessités qu’a la commune, ne se fait pas. Sachez que le pouvoir des maires en termes d’urbanisme est total. Encore faut-il qu’il y ait une volonté politique.
Je voudrais dire aussi qu’il y a 431 000 résidences secondaires en Bretagne, qui ne sont pas beaucoup habitées. Et il y a 36 000 logements qui ne sont pas dans les résidences secondaires, qui sont des logements inhabités, vacants. Ce ne sont pas des logements insalubres, ils sont habitables. Ils ne sont pas mis sur le marché, pour cause de spéculation, on place son argent où on peut, on défiscalise, il y a même des gens qui oublient qu’ils sont propriétaires, le notaire s’en souvient souvent au moment où il y a une succession. Nous voyons de plus en plus, sur la côte, un certain nombre de maisons secondaires à vendre, des maisons qu’on ne voit jamais ouvertes, et dont les propriétaires tentent de se débarrasser. La notion de maison de famille, dans laquelle on vient de temps en temps, ça ne marche plus. D’abord, les gens divorcent, il y a les familles recomposées, et puis les gens préfèrent se débarrasser d’un bien dont ils appris par ailleurs que probablement ils ne vont pas y habiter plus tard quand ils seront vieux tellement c’est cher en termes de rénovation thermique, en plus en termes de haut débit, etc. Tout compte fait, en vendant ce terrain-là, on peut prendre l’avion à Notre-Dame des Landes et aller en Tunisie, trois mois, six mois… Ça, c’est chez les riches. Mais vous savez que quand les riches se comportent d’une certaine manière, ça finit par se propager, avec un effet retard. Ça veut dire qu’il y a quelque chose qui se joue. Ça veut dire aussi qu’il y a des espaces, ces maisons-là, qui pourraient tout-à-fait faire l’objet de projets d’acquisitions, via l’EPF et les mairies, et de travail participatif collaboratif.
Voilà ce que je voulais vous dire sur ces éléments de conjonctures. En sachant que la loi Anah a beaucoup évolué sur les questions de la rénovation. C’est-à-dire que vous avez la possibilité d’avoir des pass foncier réhabilitation, c’est-à-dire que l’on fait un portage du foncier pendant 20-25 ans et on le déconnecte de l’opération qu’on fait dessus, vous avez 56 aides différentes aujourd’hui en Bretagne pour rénover, réhabiliter et requalifier un bâtiment. Des fois c’est un peu compliqué, on essaie de faire un guichet unique pour simplifier, mais sachez qu’il y a des moyens tout à fait importants en termes de rénovations, et que nous capables aujourd’hui de travailler, et de vous aider à travailler par exemple avec les Bâtiments de France, et avec les architectes qui peuvent prédéfinir les projets, de telle manière à voir combien va coûter la rénovation, quel sera le temps de cette rénovation, quelles sont les contraintes juridiques et techniques, ce qui fait que au lieu d’acheter une maison en lotissements, en extension urbaine, achetée par un promoteur, là vous avez acheté un projet en ayant agi sur ce projet et en sachant après l’achat ce qu’il va vous coûter en termes de rénovations et de réhabilitation. Et c’est à ce moment-là que les aides de l’Anah vont converger sur le projet lui-même. Il y a un seul souci sur l’habitat participatif en bourg et en centre-ville, c’est que quand on s’installe avec un travail coopératif et participatif, les gens finissent par se présenter contre l’équipe sortante ! Ça donne à réfléchir !”

 

 

 

Notes

  1. Comme le dit Samuel Lanoë, de la coopérative L’Epok, lors de l’atelier 4 de E²=HP² : “A la Ville de Rennes il y a eu ce discours de se demander pourquoi l’habitat participatif se verrait attribué les meilleurs terrains, en plus à des prix moins cher que le marché, alors qu’on pourrait faire des plus-values avec des promoteurs pour des produits standings qui permettraient de mieux alimenter les caisses de la collectivité, ce qui reste de l’intérêt général pour moi.”
  2. Les exigences des futurs habitants est aussi sans doute à questionner, quand elles se reposent ainsi sur le pouvoir et la volonté des collectivités. Samuel Lanoë, de la coopérative l’Epok, l’a bien dit lors de l’atelier n°4 de E²=HP² : “A Brest, nous avons participé à la co-rédaction d’un appel à manifestation d’intérêt, qui visait à créer un appel d’air, à mettre des groupes sur des rails, et qui invitait les groupes à se constituer en association, parce qu’il n’y en avait pas d’identifié sur Brest. Il s’agit d’une formation sur les bases de l’habitat participatif, de former des pré-budgets, des programmes, pour ensuite se voir proposer des terrains par la Ville et voir lesquels correspondaient le mieux. Mais il y a eu un vrai manque de notre part : il y a eu un déficit d’accompagnement pour avoir une lecture urbaine des parcelles. Je ne les ai pas vu, j’ai entendu parler des problèmes, les lignes à haute tension, la circulation, etc., mais ma modeste expérience m’a montrée que quand on commence à rédiger un cahier des charges qui est très utopique au départ, qui est sur des intentions, on ne trouve jamais de chaussure à son pied par rapport au terrain. Et le fait d’avoir, pendant ces visites de terrain, un urbaniste ou un architecte qui est capable d’aider à visualiser comment on peut s’accommoder éventuelles contraintes et jusqu’où celles-ci sont éventuellement tolérables, ça ça a clairement fait défaut sur Brest. C’est un enseignement à retenir pour la suite.” En attendant, le groupe Béguinage d’Iroise attend toujours que la Ville de Brest leur propose un logement à la fois placé en plein centre-ville, adapté aux personnes âgées, bon marché, sans travaux, et attirant…