APPORTS FINANCIERS
Le moyen le plus évident de financer son logement est bien entendu d’apporter son propre capital financier… encore faut-il en avoir suffisamment !
Précisions ici que, selon les indications des groupes recensés dans les ateliers et dans les sources citées en bibliographie, et contrairement à une idée répendue (à commencer par les défenseurs de l’habitat participatif), l’habitat participatif ne permet pas de réduire les apports financiers par rapport aux formes plus classiques de logement. En effet, la démarche propre aux habitats groupés ou participatifs supposent en effet des économies, mais suppose aussi des exigences supérieures qui les compensent largement (voir la page réduire les coûts).
Par conséquent, la démarche de l’habitat participatif ne permet pas en soi un meilleur accès au logement pour les faibles revenus. La question du manque de ressources ne peut se résoudre, dans une certaine limite, qu’en activant d’autres leviers : faire soi-même, solliciter des financements, réduire les coûts. Ces leviers prennent tous une tournure spécifique du fait de la démarche particulière de l’habitat participatif, certains apparaissent même comme des nouveaux possibles (obtenir des subventions, faire davantage d’autoconstruction, réduire des espaces inutiles…), mais, répétons-le, ce n’est pas en faveur d’un investissement financier moindre au final. Les groupes recensés en font la constatation : ils se réjouissent d’avoir un meilleur habitat que s’ils ne s’étaient pas engagés dans une telle démarche, mais ils n’ont pas investi moins d’argent que ce qu’ils auraient sans doute fait pour un habitat plus classique.
Cette observation nous amène à défendre l’idée que l’intérêt de l’habitat participatif ne se trouve pas dans un accès facilité au logement pour des ménages modestes. L’intérêt de la démarche se trouve plutôt dans la réalisation d’un meilleur habitat, dans la recherche d’une meilleure maîtrise collective.
C’est pourquoi nous trouvons dommageable le lien fait trop systématiquement à note avis entre la démarche de l’habitat participatif et la thématique de l’accès au logement, comme si la première n’avait pas de sens sans la seconde. Il s’agit là à notre avis d’une confusion d’objectifs, qui subordonne l’objectif d’un meilleur habitat à celui d’un accès plus large au logement.
Précisons que, pour notre part, ces deux objectifs sont distincts, et ne doivent pas se confondre, mais qu’ils ne s’opposent pas en tant qu’objectifs légitimes : la question de l’accès du logement participatif aux ménages ayant des revenus modestes à toute sa pertinence politique (comme pour les formes plus classiques de logement), tout comme la question de l’insertion de la démarche participative dans le logement social.
Précisons enfin que les coopératives d’habitats telles que le prévoit l’article 47 de la loi Alur, et les organismes fonciers tels que le prévoit l’article 77bis de la même loi, visent quant à eux, structurellement, à répondre à la fois aux problématiques de meilleur habitat et d’accès au logement pour les ménages aux revenus modestes, dans la même démarche.
EMPRUNTS BANCAIRES
Emprunter auprès des banques est une problématique très particulière dans le cadre de l’habitat groupé ou participatif 1. Il s’agit là d’un des noeuds les plus complexes des montages des projets d’habitat participatif. En effet, du fait de l’originalité de la démarche, et surtout du principe de la solidarité financière des emprunteurs, qui crée autant d’interdépendance, les incertitudes et les difficultés ne s’additionnent pas simplement : elles se multiplient de façon exponentielle.
Ce que ça permet
- les emprunts complètent les apports
- la mise en commun de l’emprunt solidarise de fait le groupe emprunteur, dans le sens juridique du terme : unir les membres du groupe dans une même co-responsabilité et un même co-engagement. 2
- évite, ou au moins allège l’obligation d’aller chercher des financements tiers (banques, subventions, appels aux financements solidaires…). 3
- évite, ou au moins allège l’obligation de s’engager auprès de partenaires, et de dépendre de leurs engagements, qu’il s’agisse des banques, des bailleurs, des collectivités… 4
Ce que ça suppose ou contraint
- L’emprunt bancaire suppose un minimum d’apport et de solvabilité. 5
- L’emprunt a un coût. Celui-ci augmente d’une façon exponentielle : plus on emprunte d’euros, plus chaque euro emprunté coûte. 6
- Les emprunteurs doivent trouver une banque qui ne refuse pas le prêt d’entrée de jeu, en tant que projet trop complexe, trop inhabituel. Cela suppose une rencontre entre des banquiers prêts à s’engager dans de tels projets, et des porteurs de projets convaincus et prêts à convaincre de l’utilité, la nécessite, et la possibilité de cet accord de prêt. 7
- Les banques doivent pouvoir mesurer la solvabilité des emprunteurs, et leurs garanties. Cela suppose que les responsabilités financières soient bien clarifiées. Autrement dit, cela suppose que les statuts juridiques qui lient les futurs habitants et leurs biens soient écrits, de façon claire et compétente. 8
Notes
- C’était l’objet principal de l’atelier 1 d’E²=HP²
- Notons ici que le mot “commun” provient des racines latines “cum”, c’est-à-dire “avec”, et “munus”, c’est-à-dire “charge”, “dette”. Mettre en commun revient ainsi à partager une dette ou une charge. Cela relève de ce fait de la co-responsabilité, et donc de la solidarité, dans le sens de l’unité d’un même sujet de droit, comme le disent, chacun à leur manière, la juriste Martine Barré-Pépin [2013] et les philosophes et sociologues Pierre Dardot et Christian Laval [2014]. L’intérêt politique et moral de cette mise en commun est donc important pour des projets qui servent à créer de la solidarité entre les co-habitants. L’emprunt étant l’un des actes les plus engageants dans un projet d’habitat, emprunter en commun revient à se co-engager dans ce projet commun. Il s’agit d’un acte qui a une valeur symbolique très forte, qui engage concrètement. Précisons que cette « mise en commun de l’emprunt » ne prend pas nécessairement la forme d’un seul emprunt au nom d’une seule personne, physique ou morale (par exemple une association, ou une Société Civile Immobilière). Cette hypothèse paraît la plus évidente pour marquer la solidarité financière entre les participants au projet, elle était voulue par exemple par les groupes Ekoumène (atelier 1 d’E²=HP²), la Cie Rit (atelier 4 d’E²=HP²), et le projet Cool Kozh (à Plabennec, Finistère), mais, dans chacun de ces cas, elle n’a pas été jugée acceptable par les banques respectives. En effet, les banques ont préfèré mesurer la solvabilité de chaque emprunteur physique, pris séparement. La constitution classique de dossiers séparés pour chaque foyer est ainsi restée de mise, cela avec des montants, des clauses, des taux et des étalements dans le temps qui peuvent varier d’un dossier à l’autre. Mais cela ne doit pas occulter le fait que les dossiers se regroupent nécessairement dans leur traitement, ne serait-ce que dans leur finalité : la mise en commun ne signifie donc pas dans ces cas un traitement unifié (emprunt fusionné en une seule personne), mais, tout de même, un regroupement de dossiers interdépendants. L’acte symbolique et juridico-financier du co-engagement, de la co-responsabilité, de la solidarité, reste prégnant.
- Yvan Legoff, de l’habitat groupé la Cie Rit : “Nous avions entre 30 et 50 % d’apports selon les foyers. Ce qui facilite énormément les choses. Nous avions les moyens de notre projet. Nous n’avons pas eu de mal à obtenir des prêts auprès des banques, puisque nous avions tous des apports. Et puis, il y a beaucoup de financements publics qui sont liés à un certain nombre de normes, de réglementations, d’obligations, et nous on n’était pas du tout là-dessus. Ça nous a coûté moins cher et ça a été plus rapide de ne rien demander !” (E²=HP² atelier 4)
- A l’opposé du récit de la Cie Rit, les projets comme les Voisins volontaires et les Toits partagés, pour lesquels les futurs habitants ont nettement moins d’apports financiers disponibles, se montrent particulièrement dépendants de l’engagement de multiples partenaires (banques, bailleurs sociaux, collectivités, chacun des habitants candidats). Les récits de ces deux projets, lors de l’atelier 4 d’E²=HP² à propos des financements, marquaient par leur complexité de montage entre multiples partenaires interdépendants, et, par voie de conséquence, de leurs incertitudes, et de leur enlisement dans le temps.
- C’est à ce niveau, crucial, que les banques préfèrent monter des dossiers distincts pour chacun des emprunteurs, plutôt que d’accepter un seul emprunt au nom d’une seule personne morale (association, société…). La banque entend en effet se donner les moyens de mesurer le protentiel financier des emprunteurs à rembourser leur prêt, autrement dit leur solvabilité. Cela prend en compte les situations des personnes physiques : capital possédé, situation professionnelle, patrimoine non financier… Mais, pour autant, on peut toujours imaginer qu’une banque accepte un jour un emprunt au nom d’une personne morale, au-delà des personnes physiques qui la composent. Le caractère fluctuant, constitué en partie de rapports de forces, transparaît dans ce témoignage de la Cie Rit lors de l’atelier 4 de E²=HP² : « Il y a eu un des 4 foyers qui s’est retrouvé en difficulté, parce que l’un d’eux a été au chômage avant d’avoir pu fixer les emprunts, donc il y a eu un refus de prêt de la part de la banque, et on a pu insister sur le fait qu’on était sur un projet collectif, que s’il y avait une défaillance sur un des foyers, le projet était remis en cause, et finalement c’est passé. On s’est pris un malin plaisir à engueuler un banquier, ça nous a vraiment fait plaisir.”
- Ce que montre bien le rapport de L’Epok et L’Echo-habitants [2015] p73 : en passant de 297000 € (coût hypothétique du bien s’il était acquis auprès d’un promoteur) à 180 000 € (coût réellement dépensé – l’économie s’expliquant principalement par le recours à l’autopromotion et à l’autoconstruction), la Cie Rit passe d’un coût de crédit de 112 962€ à 33 918€. La première économie peut être considérée comme le paiement sous une autre manière du coût du travail, en l’occurrence du travail fait soit-même, mais l’économie du coût de crédit n’est quant à lui équivalent à rien que l’on pourrait mettre dans la colonne du passif, si ce n’est le service rendu par la banque en empruntant. Cet exemple montre bien que le recours à l’emprunt est particulièrement coûteux.
- En premier lieu, il s’agit de rencontres humaines entre porteurs de projets et banquiers. En effet, ces derniers peuvent avoir de bonnes raisons pour ne pas s’engager dans des démarches trop inhabituelles, dans un souci de rentabilité du temps de travail : un dossier classique de prêt bancaire pour un logement est monté en quelques heures de travail, là où un dossier innovant en demande… beaucoup plus (le temps de comprendre les statuts, de mesurer les enjeux, de traiter les dossiers imbriqués…).
En plus de temps, de tels dossiers demandent de l’investissement personnel de la part des professionnels de la banque et des assurances pour les défendre auprès de leur hiérarchie et de leurs paires. Il s’agit donc d’une mise en jeu personnelle des professionnels impliqués, à divers degrés de la hiérarchie de la structure. Cela perdurera tant que la démarche d’habitat participatif ne sera pas banalisée – ce qui pourrait être le cas à terme avec la multiplication de tels dossiers et avec l’application de la loi ALUR, ou encore par la démarche de banquiers et assureurs de créer des « schémas » pour capitaliser leur expérience en la matière.
En attendant, la première condition d’acceptation de prise en charge des dossiers par les banques et assurances est une rencontre, à un niveau humain, entre des porteurs de projets et des banquiers. Elle prend forme dans la capacité des porteurs de projets à convaincre les banquiers et assureurs que leur projet est non seulement viable, sérieux, mais aussi intéressant, qu’il mérite de s’y attarder. Cela suppose que les porteurs de projets aient confiance dans leur capacité à arriver à ce résultat, et dans la possibilité que des banques puissent s’intéresset réellement à ce type de projets. De l’autre côté, cela suppose de la part des banques et assurances une certaine sensibilité aux valeurs de tels projets, et que les professionnels à tous les niveaux de la hiérarchie y trouvent un intérêt personnel, intellectuel pour s’y investir.
De plus, le projet doit paraître crédible, et non pas farfelu, irresponsable, ou inconstant. Le montage de projet en société (SCI, SCIA, SCCC, coopérative régie par l’article 47 de la loi ALUR…) plutôt qu’en association ou en regroupement informel est une condition obligatoire de la part des banques pour octroyer des prêts. C’est une garantie de régulation des responsabilités dans le temps. [E²=HP² atelier 1, garanties financières]
- La question qui se pose ici est celle de la solidarité des habitants. Ce terme est généralement compris par les groupes d’habitants dans son sens de valeur morale, c’est-à-dire des formes de don de soi, d’entraide et de coopération bienveillantes et volontaires entre acteurs différents – souvent de ceux qui peuvent le plus donner envers ceux qui ont le plus de besoins. Mais ce terme prend un autre sens dans le langage juridique et financier (proche alors du sens chimique, ou mécanique), pour lequel la « solidarité » signifie la fusion d’un seul et même acteur, d’une seule entité juridique, qui contraint à une interdépendance nécessaire et de fait des membres qui la composent, (cela, même si ceux-ci ne la désirent pas). Cette forme de solidarité signifie la mise en commun de la responsabilité juridique et financière. C’est au niveau de cette solidarité-là que se mesure la solvabilité des acteurs engagés. Les notions de solidarité, de responsabilité et de solvabilité sont juridiquement liées [Barré-Pepin, 2013]. Or, le sens même de toute démarche d’habitat groupé est précisément de bousculer les répartitions classiques de la propriété et de la responsabilité dans l’habitat. Des espaces et des équipements sont mis en commun, alors que certains sont propres à chaque foyer, cela dans une autre logique que la séparation classique privé/public. Il en est de même pour les entités juridiques agissantes et responsables, qui se situent différemment selon les questions posées (individu, ménage, groupe, inter-groupe, partenaires), en tous cas dans un entre-deux entre la communauté totale et la distinction totale des foyers. Le sens même des habitats groupés est de créer du commun à géométrie variable ; mais c’est aussi ce qui rend les dossiers susceptibles de créer des failles en matière de sécurisation financière pour l’ensemble des partenaires. D’où la nécessité de bien définir les entités juridiques en jeu dans les projets d’habitat groupé, et de réguler leurs rapports, de façon claire, lisible et cohérente, en s’appuyant sur le droit existant, les conventions, les statuts et chartes propres aux sociétés, afin d’assurer des contrats explicites et sécurisants avec les banques, assurances et mutuelles. Cela demande une compétence professionnelle, qu’il s’agit d’aller chercher à l’extérieur si elle ne se trouve pas dans le groupe d’habitants lui-même. Ce travail débute en amont du démarchage auprès des banques.Si la solvabilité d’un ou de plusieurs payeurs fait défaut à un moment donné (non-paiement par manque de ressource, ou bien pour faute de vacance du logement), il reste encore à mesurer les recours possibles, c’est-à-dire les garanties. Dans un habitat classique, la banque se garde la possibilité de saisir directement les logements et le foncier mis en gage pour les revendre ; c’est ce que l’on nomme une « garantie réelle », une « garantie hypothécaire », ce qui est une « garantie de premier rang ». Mais cela est peu probable quand la propriété est partagée, car dans ce cas les propriétaires ne sont pas propriétaires de plein droit de leur logements, ils le sont de parts sociales d’une société (que ce soit une SCI, une SCIA, l’un des deux statuts créés par la loi Alur, ou autre). De ce fait, les garanties pour les banques prennent deux formes : les nantissements de parts sociales, et les cautions hypothécaires sur les sociétés. La première forme n’est pas intéressante pour une banque, car il s’agirait d’un capital immobilisé, qui devrait apparaître comme tel dans son bilan, et qui ne pourrait donc pas être réinvesti par ailleurs. La seconde forme est complexe et peu probable dans le cas d’un habitat groupé, car il s’agirait d’une vente de la totalité du lot, ce qui entraînerait l’ensemble du dossier et concernerait tous les habitants. En un mot, les garanties financières propres aux montages des habitats groupés sont faibles aux yeux des banquiers. Parvenir à renforcer ces formes de garanties financières est un enjeu actuel que les acteurs du mouvement de l’habitat participatif se donnent pour objectif, d’une part en tentant de convaincre les banques de la validité de ces garanties, d’autre part en créant des formes de cautions par des tiers ou en inter-groupes d’habitants (formes de mutuelles). Notons par ailleurs que certaines collectivités publiques ou organismes peuvent se porter caution.C’est en raison de toutes ces complexifications et hausse des risques potentiels que les banques incitent très généralement les groupes à se constituer en co-propriété : il s’agit là d’une forme classique et balisée, mais surtout il s’agit là d’une délimitation claires des propriétés de chacun, et, partant, des responsabilités financières et des garanties de chacun auprès des banques. Cette incitation s’est observée au niveau des montage de projet, mais aussi lors de passation d’attribution de logements, en ce qui concerne des groupes des années 1970 et 1980. Notons enfin que la promulgation de la loi Alur pourra sensiblement simplifier les démarches des groupes qui adoptent ces statuts, car un cadre y est déjà en grande partie prédéfini.