Faire soi-même

Faire soi-même plutôt que de rémunérer des professionnels permet d’économiser de la main d’œuvre. Parallèlement à l’économie réalisée, cela prend sens dans des projets qui cherchent à faire des habitants des acteurs, qui se “réapproprient” leur habitat 1.

Mais cette démarche suppose de l’investissement en temps et en énergie, et de mobiliser des compétences importantes, qui ne sont pas données à tout le monde. La balance n’est pas toujours positive. Il s’agit d’évaluer ses compétences (ce qui demande déjà en soi des compétences) 2, ses envies, et en quoi elles peuvent évoluer (ou non), pour mieux définir des objectifs réalisables 3.

Citons ici le rapport effectué par L’Epok et l’Echo-habitants [2015] qui cherche à comparer les coûts et économies des projets d’habitat participatif, entre ceux qui s’engagent dans le faire soi-même, et ceux qui recherchent les soutiens institutionnels 4.

 

 

AUTOCONSTRUCTION

L’économie qui semble la plus évidente en matière de “faire soi-même” est celle de l’autoconstruction (construire soi-même). La plupart des projets d’habitat participatif y ont recours. Pour certains, il s’agit d’une condition essentielle du projet pour certains (plusieurs maisons d’Ecocum, par exemple), pour d’autres il s’agit avant tout d’une nécessité, pour boucler le budget (le Fil, la Cie Rit, Ékoumène…). Pour d’autres enfin, ce n’est pas une option réaliste, compte tenu du manque de capacités des futurs habitants (compétences techniques, réseau à mobiliser, condition physique, temps disponible…).

 

Ce que ça permet

  • Économies financières : la main d’œuvre est estimée généralement autour de 20 % des coûts de construction [Adil 26] – de façon très différente selon les postes et les contextes. 5
  • Mutualisation de moyens : l’investissement dans des outils et des matériaux connaissent des effets de seuil : à plusieurs, on peut acheter (ou louer) du meilleur matériel, plus rentable à l’usage. 6
  • Cela permet des achats en gros, donc des meilleurs prix.
  • Réunir plus de gens augmente la chance de regrouper des compétences. Cela peut aussi se traduire par des formations payantes, qui se rentabilisent d’autant plus vite. 7
  • Gain en compétence technique : Le temps de formation technique se valorise pendant le temps de chantier, et est utile pour le meilleur entretien du bâtiment (économies à venir)
  • Sens de la démarche d’habitat participatif : construire du collectif, formation du groupe par l’expérience concrète d’une construction commune.
  • Meilleure appropriation personnelle et collective de l’habitat
  • Permet de la fierté, de l’estime de soi (ça coûte moins cher qu’une thérapie!)
  • Rend plus évident la mobilisation de main d’oeuvre – souvent bénévole – par l’appel aux chantiers participatifs

Ce que ça suppose ou contraint

  • Compétences techniques. Cela est vrai aussi pour l’apprentissage : on n’apprend pas de rien, sans aucune ressource autour de soi.
  • Compétences en gestion de chantier. 8
  • Confiance en soi, et en ses capacités
  • Temps de travail (« apport en travail »)
    Coût du travail à valoriser – éventuellement à mettre en rapport avec les salaires non perçus ou les droits consommés 9
  • Coûts des doubles loyers pendant les travaux si le travail est plus long que celui de professionnels
  • Coûts éventuel des reprises des erreurs de construction, surcoût de l’entretien si le travail a été mal fait.
  • Manque à gagner de l’efficacité, des « trucs » techniques et des outils des professionnels pour aller au plus vite et au moins cher.
  • Manque à gagner des remises des professionnels pour les matériaux. 10

Ce que ça complique, voire empêche

  • Certaines garanties, assurances (notamment dommage-ouvrage), et autres labellisations, qui conditionnent des aides et dispositifs publics, et des emprunts bancaires
  • l’autoconstruction ne rentre pas dans les logiques habituelles de fonctionnement du logement social. 11
  • la fatigue, le stress du chantier, surtout s’il prend du temps, peut atteindre la santé, provoquer des accidents.
  • répercussions dans les autres dimensions de la vie (moins de disponibilité pour le travail, la famille, les amis, les autres engagements…)
  • peut détériorer les relations entre co-constructeurs (création de désaccords, de rancœur, impression que les autres bâclent le travail chez soi, impression de travailler plus chez les autres qu’on ne travaille chez soi, travailler avec les autres en situation de fatigue et de stress…).
  • augmentation du risque des évolutions humaines du groupe (départs, divorces, décès…).
  • risque que les travaux soient mal faits.

 

AUTOPROMOTION
Nous pouvons donner ici la définition de Bruno Parasote [2011, p17] : “le groupe de futurs habitants joue ici le rôle traditionnellement dévolu au promoteur immobilier et fait donc le choix de se passer intégralement de cet intermédiaire. Le groupe est le maître d’ouvrage collectif de son habitat, c’est-à-dire qu’il est le seul commanditaire du projet, dont il définit le cahier des charges, notamment par des chartes et contrats d’objectifs. Il pilote la mise en oeuvre par le choix des prestataires, la supervision des travaux. Il décide enfin de mener le projet avec ou sans l’assistance de professionnels, avec ou sans délégation partielle de la maîtrise d’ouvrage, en fonction des compétences propres de ses membres.” Ajoutons encore le travail de publicité, pour attribuer les logements. Précisons que le promoteur est le propriétaire du bien immobilier pendant son élaboration et sa construction. 12

 

Ce que ça permet

  • économies finaicières directes : la promotion est estimée à 20 % du budget construction [Adil 26].
  • construire du collectif, formation du groupe par l’expérience concrète d’une construction commune.
  • Meilleure appropriation personnelle et collective de l’habitat
  • Permet de la fierté, de l’estime de soi (ça coûte moins cher qu’une thérapie!)

 

Ce que ça suppose ou contraint

  • en l’absence de promoteur, il s’agit d’assurer soi-même le travail de promotion. Il s’agit d’une lourde charge en terme de responsabilités
  • les habitants s’exposent à financer les logements vacants, et les surcoûts de travaux. Faute de réserves financières importantes, cela peut se révéler très problématique
  • Demande de la confiance en soi, et en ses capacités
  • Complexifie les rapports avec plusieurs interlocuteurs lors de la construction immobilière. 13

 

AUTOGESTION
Certains habitants considèrent l’autogestion comme le but ultime de l’habitat groupé, son essence-même. Dans ce sens, la démarche englobe tout ce que nous avons nommé ici le “faire soi-même”. Dans ce tableau cependant, il n’est question que de l’entretien de l’habitat, autrement dit du travail domestique, administratif, gestionnaire, et cela dans le temps, une fois les habitants installés.

 

Ce que ça permet

  • Économiser la rémunération de services tiers. 14
  • Maintien l’activité collective dans le temps. Cela, y compris pour les nouveaux arrivants, qui peuvent s’intégrer à la démarche, sans avoir participé à l’expérience antérieure
  • Meilleure appropriation personnelle et collective de l’habitat
  • Permet de la fierté, de l’estime de soi

 

Ce que ça suppose ou contraint

  • effectuer soi-même ce travail, et en assumer la responsabilité
  • la mise en commun du travail domestique demande une organisation collective, de la régulation, de la communication entre voisins. Cela se fait de façon explicite ou implicite
  • si l’idéal de la répartition égalitaire des tâches domestiques semble la norme exprimée dans beaucoup de discours, la norme observée dans les pratiques est toute autre. Cela peut créer des tensions, si la répartition ne convient pas à certains.

 

 

Notes

  1. Il s’agit là du propos de Pierre Servain lors de l’atelier 6 d’E²=HP² à propos de l’autoconstruction : “La plupart des habitats participatifs ont recours à de l’autoconstruction. Cela concerne parfois l’ensemble de la construction, ou plus souvent le second œuvre (murs et sols intérieurs). Pourquoi une telle importance de recours à l’autoconstruction dans l’habitat participatif ? Serait-ce à dire que l’habitant participatif moyen serait particulièrement peu argenté ? Ou bien s’agit-il d’un autre type de motivation, davantage lié au sens de la démarche ?

    En effet, construire ensemble son habitat, c’est déjà le réaliser dans le mode participatif, du faire soi-même, du faire ensemble – et bien souvent de l’écologie. Ce qui fait raisonner le mot du philosophe Heidegger, qui écrivait « bâtir, […] n’est pas seulement un moyen de l’habitation, une voie qui y conduit, bâtir est déjà, de lui-même, habiter». En l’occurrence, construire ensemble l’habitat, c’est aussi construire le groupe d’habitants, c’est construire le collectif. Cette seconde hypothèse se combinerait avantageusement avec l’idée de plusieurs observateurs quand ils affirment que l’autoconstruction n’est pas réellement rentable financièrement parlant, surtout s’il ne s’agit que du second œuvre. Ils ont plusieurs arguments à leur actif. Mais, au lieu de trancher entre la motivation économique et celle du sens de la démarche, notre propos est plutôt de dire qu’il serait absurde de nier l’un des deux mouvements. L’argument économique est certain, quand on voit le nombre de groupes qui comptent sur l’autoconstruction pour boucler leur budget, et qui n’auraient pas la trésorerie suffisante pour construire sans ce levier. L’argument du sens est aussi certain, quand on voit que des groupes préfèrent autoconstruire plutôt que de renoncer à la qualité de leur habitat.

    Au carrefour de ces deux motivations, notons que l’autoconstruction la plus courante concerne celle des espaces communs de rencontres (la salle commune, l’atelier…), c’est-à-dire, le plus souvent, à la fois l’espace le plus fragile sur le plan de financement, et à la fois le plus porteur du sens collectif de l’habitat. En tous cas, si l’autoconstruction n’est pas spécifique à l’habitat participatif, l’autoconstruction pour l’habitat participatif a une spécificité importante : elle prend forme dans un projet collectif. Cela amène à collectiviser les coûts et les économies de la démarche.”

  2. Comme le montre l’expérience de la Cie Rit, lors de l’atelier 6 d’E²=HP² : le travail de préparation du chantier a été un gros travail pour le groupe : budget prévisionnel poste par poste, répartitions financières entre les habitants, prévisionnel de chantier… Cela suppose autant de compétences de professionnels du bâtiment (analyse financière, maîtrise de la construction de bâtiments, gestion de projet, aspects juridiques, administratifs…), que le groupe possède de par leurs professions respectives, ou qu’ils vont chercher, et apprendre sur le tas. C’est lors de ce temps de préparation que se font les choix de ce qui sera autoconstruit au lieu d’être confié à des artisans : « là où c’était rentable, là où on allait ne pas y passer trop de temps, là où la prise de risque était acceptable, là où l’économie était substantielle. Les endroits où c’était à 1000€ on s’en fichait au début. Nous avons confié des postes aux entreprises pour des finitions, par exemple pour les bandes aux placo, on préférait gagner un mois de loyer plutôt que de chercher à économiser les 1000€ de travail. Nous avons pas mal discuté à savoir si on faisait le gros œuvre, c’est-à-dire la charpente, parce que c’est là où il y a une grosse économie à faire, mais la prise de risque elle est forte, surtout sur un bâtiment collectif. Tous les copains qui font des grosses économies sur de l’individuel, ils font du gros œuvre, et ils vont faire les finitions. Mais nous on ne s’est pas sentis, sur un truc de quatre logements, ça nous semblait un peu lourd. »
  3. Des habitants de l’habitat groupé La Cie Rit ont témoigné de leur vécu à ce propos, lors de l’atelier 4 d’E²=HP² : “D’une façon générale, ce que j’ai envie de dire, c’est que ça a été très facile. Nous n’avons pas rencontré de difficulté, ni technique, ni relationnelle… C’est aussi parce que nous avons mis des choses simples dans ce projet, c’est-à-dire que nous n’avons pas voulu révolutionner le monde, nous n’avons pas réglé tous les maux de la planète, les problèmes écologiques, nos rapports symboliques à l’habitat, tout ça. Quand on met de l’écologie, c’est déjà compliqué, quand on met du collectif, c’est compliqué, quand on met des questions de co-financements, c’est compliqué, quand en plus on veut des statuts coopératifs, c’est compliqué, quand on a différents modes de location et d’accession, c’est compliqué, et au final on fabrique des énormes machines à gaz, et on ne sait pas comment les porter, et les gens à qui on peut s’adresser ne savent pas comment porter ça eux non plus. C’est pour ça que nous on est partis sur des choses le plus simple possible. On ne va pas tout mettre. Et effectivement, on a fait des croix sur plein de choses, par rapport aux autres projets, intergénérationnels, de mixité sociale, on a fait une croix dessus. On se ressemble, on est tous des bobos, on habite tous à la campagne, on est écolo… Nous avons été pragmatiques. Nous voulions un logement pour y vivre bien, que ce soit un peu écolo, un peu convivial, que ce soit facile, et nous avons mis des objectifs qui étaient à la hauteur de nos moyens, de ce qu’on était, de notre expérience. Nous avons mis le curseur au bon endroit. Nous avons eu besoin une fois de Samuel [L’Epok], pour une soirée en animation, mais nous avons déjà les compétences en termes d’animations, en termes de méthodologie, de gestion, de comptabilité, de maîtrise d’œuvre.

    Thomas Michel (Cie Rit) : « Je vais nuancer ce que dit Yvan, sur l’aspect « facile » des choses. C’est aussi que nous nous sommes beaucoup investis, nous avons fourni beaucoup d’efforts. Mais nous l’avons fait tous ensemble, et vraiment en concertation, beaucoup dialogué, nous avons fait une réunion par semaine, où on discutait de plein de sujets, de fric, du projet en lui-même, etc. C’est quelque chose qui s’est construit ensemble. C’est pour ça que ça s’est bien passé. Et puis nous sommes un petit groupe, de 4 foyers, ça simplifie la gestion du groupe.”

  4. Samuel Lanoë, lors de l’atelier 4 d’E²=HP² : “Quand on fait le bilan des compétences en internes que vous avez par exemple à la Cie Rit pour vous substituer à un promoteur, on voit la capacité de l’ingénierie financière, de faire des prévisionnels, de porter un certain nombre de responsabilités sur vos épaules, la capacité de négociation – parce qu’il faut savoir que plusieurs projets en autopromotion n’ont pas de meilleurs coûts de sortie que ceux des promoteurs, parce que même si d’un côté les gens n’ont pas eu à payer la marge des promoteurs, d’un autre côté ils ont été mauvais à négocier des prestations, des matériaux, parce qu’ils ne s’y connaissaient pas, et au final les gains sont nuls. Tout ça pour vous dire que ces solutions très « auto » fonctionnent, mais pas en termes de diversification culturelle : ce n’est pas ouvert à tout le monde.”
  5. À titre d’exemples, les habitants d’Ékoumène estiment avoir économisé entre 60 et 80 000€ en ayant assuré le second oeuvre (murs et planchers intérieurs), sur un budget global de construction de 700 000€.
    Les habitants de la Cie Rit se sont attaqué à davantage de travaux : “ En analyse financière, nous avons un terrain à 134 000€, frais inclus. Les logements avaient été estimés autour de 700 000€ pour 4 logements, mais en autoconstruction nous sommes arrivés à 490 000, donc on a fait plus de 200 000€ d’économie sur les constructions, en huit mois de travail. Nous, on avait 800 000€ de budget. Nous avions un programme qui valait plus d’un million d’après l’architecte. Nous avons décidé de ne pas revoir notre programme à la baisse, et de travailler en autoconstruction pour aboutir à nos objectifs. Du coup, aux prix du logement avec des entreprises nous sommes passés de 2 750€ au m2 à 1700€ pour le coût de construction des logements, hors commun.” (atelier 4 de E²=HP²). Voir le rapport de l’Epok et de l’Echo-habitants [2015] pour une analyse plus fouillée de ces chiffres.
  6. Comme le montre le témoignage de la Cie Rit, lors de l’atelier 6 d’E²=HP² : « Nous avons pu acheter du matériel professionnel, nous devons avoir plus de 7 000€ de matériel, nous n’avons pas une visseuse de moins de 400€. On ne l’aurait jamais fait si nous avions été en individuel. Nous avons du matériel qui vaut cher mais qui a été largement amorti, et divisé par quatre, parce qu’on est quatre foyers, ça fait que nous avons 75 % de réduction sur tout le matériel. » Au final, le groupe a réussi à tenir dans ses prévisions budgétaires. Ils estiment à 200 000€ d’économies sur les logements, et 50 000€ sur les espaces communs. Cette économie vaut la comparaison avec un coût du travail à valoriser : « moi je considère qu’on a gagné 70 000€ chacun en un an de travail : je n’ai jamais gagné ça en salaire ! » On mesure l’importance de cette économie quand on sait qu’il s’applique sur un budget total de 800 000€.
  7. Formations techniques (charpente, électricité, etc.), ou en gestion de budget, etc.
  8. Le fait d’utiliser ses droits au chômage pour prendre le temps de construire soi-même son habitat constitue une controverse dans entre plusieurs acteurs du réseau de l’habitat participatif. En réponse à cette controverse, l’Epok a suggéré à la Fondation de France de mettre en place des revenus de subsistance pour des ménages modestes le temps de cette construction, pour éviter d’avoir à enrichir des banques par des emprunts supplémentaires.
  9. Comme l’indique, par défaut, l’expérience d’Ecocum, lors de l’atelier 6 d’E²=HP² : “Nous on se retrouve avec un parquet qui est là depuis 3 ans dans notre maison, parce que ceux qui allaient aménager en étaient là à un moment donné, on a fait une commande commune d’un parquet à pas cher, mais qui nous embête depuis trois ans, parce qu’on tourne autour, on le déplace. Commander tous ensemble, c’est s’embêter avec du matériel alors qu’on n’y est pas. La mutualisation, ça peut être pénalisant, si on n’est pas bien organisés, bien synchro. Nous on a plein de copains qui veulent bien nous aider, mais on leur dit « non, ne venez pas », parce qu’on n’a pas la compétence de départ pour organiser le truc. Je crois que le premier truc à prendre en compte, c’est son tempérament, et ses compétences, pour savoir ce qu’on va faire.”
  10. Comme l’indique l’expérience de la Cie Rit, lors de l’atelier 4 d’E²=HP² : D’autres compétences sont mobilisées pendant le chantier : des compétences techniques bien sûr, mais aussi des compétences de négociations avec les entreprises. Ce point est très loin d’être négligeable, alors que beaucoup d’autoconstructeurs achètent au prix public. « Quand on voit dans des boîtes qui vendent de la ferraille, j’ai testé avec eux, les commerciaux n’aiment pas qu’on se mette à coté de l’écran de l’ordinateur. Mais quand on arrive à le faire, on voit que la ristourne passe de 0 à 75 % dans la discussion. Chez les fournisseurs professionnels, le prix public, à 100 %, ça n’existe pas ! Ça se joue à la négo. On dit que ce que définit le prix, c’est un rapport d’offre et de demande. Ce n’est pas vrai ! Le prix, c’est un rapport de domination, c’est un rapport de classe. Les pauvres paient toujours plus cher que les riches, et celui qui domine paie moins cher que celui qui est dominé. C’était très net : sur le même produit, on envoie Sabrina – parce que c’est aussi un rapport de domination masculine – on envoie Sabrina chercher un produit, quand elle revient il est au double de quand c’est moi qui y vais. Je l’avais testé avant avec un copain qui était artisan, il m’a dit de ne pas oublier de négocier le prix, alors je négocie le prix, je dis « je suis content j’ai eu 30 % », il me regarde et il me dit « d’habitude j’ai toujours 70 % ! » Il faut savoir comment ça marche. Je me suis retrouvé à faire du théâtre, du sketch, je me suis retrouvé à me faire masser par un commercial qui voulait montrer des gestes et des machins, des fois c’est du théâtre, ça fait partie du jeu, même si c’est parfois soûlant, et épuisant. »
  11. comme le regrette Nicolas Bernard [2006]. Les Compagnons bâtisseurs font preuve d’innovation en la matière, par le projet de Langouët, centre-bourg en Bretagne. Voici ce qu’en dit Jacques Matelot, de l’association, lors de l’atelier n°6 d’E²=HP² : “Il s’agit de la construction de 10 logements, dans le cadre d’un lotissement communal, dans un programme qui compte aussi 25 lots libres, et 6 locatifs sociaux. L’objectif, c’est une posture offensive sur l’autoconstruction, c’est-à-dire qu’on veut qu’on veut participer au sujet de recourir à l’autoconstruction pour faire accéder des personnes à la propriété. Ce n’est pas qu’on soit pour la propriété à tout prix, ce n’est pas ça, mais c’est pouvoir faire accéder des personnes à la propriété alors que sans autoconstruction elles ne peuvent pas accéder du tout. »« Aujourd’hui, de plus en plus d’habitants se sont lancés dans l’acquisition de réhabilitation de logements parce qu’ils ne peuvent pas acheter neuf. Les logements les moins chers sont ceux où il y a le plus de travaux. Mais il y en a plein qui n’y arrivent pas, pour plein de raisons diverses et variées, notamment parce qu’ils n’ont pas les compétences nécessaires. Et je peux vous dire que ces personnes-là peuvent descendre très très bas. Nous, on travaille pour aider ces personnes à réhabiliter leur logement, à trouver des solutions. »« L’effet levier c’est pour les habitants, c’est la solvabilité du projet d’accession. Le coût moyen du logement du projet, c’est 135 000€ pour des maisons individuelles T4 de 85m2, terrain compris, TTC, en VEFA, tout compris. Le même bailleur vend entre 1900 et 2000€ le mètre carré. La démarche qu’on veut développer, c’est de faire 70 à 75 % d’autoconstruction, ce qui est beaucoup. Comme on propose ça à des personnes qui n’auraient pas pu accéder du tout, ou alors dans des conditions très risquées, en fait ce n’est pas un marché qu’on prend au marché du bâtiment, c’est un marché en plus. Ça, c’est le deal. Parce que derrière on a essayé d’embarquer aussi des collectivités et des partenaires qui sont très sensibles, et à juste titre, à la problématique économique du secteur du bâtiment. Ça veut dire qu’on réserve à des personnes qui financièrement ne pourraient pas s’en passer. »

    L’une des missions des Compagnons bâtisseurs est d’assurer les sécurisations. Il s’agit d’une part de l’accompagnement technique sur le chantier, ainsi que la planification, la logistique, les médiations. Il s’agit aussi des rescrits juridiques : « on a été pendant deux trois ans écrire des rescrits avec les services fiscaux et services sociaux de manière à avoir des autorisations de non fiscalisation, parce aujourd’hui l’État peut être amené à fiscaliser et à appliquer la TVA aux échanges entre les habitants collectivement qui font de l’autoconstruction entre eux, en monétisant cet échange, et leur appliquant 20 % de TVA. Nous avons eu des rescrits de services fiscaux de Bretagne qui bloquent ça, et qui permettent de reconnaître l’entraide civile, concrètement. L’idée, quand on dit sécuriser, c’est pour les habitants, mais c’est aussi pour la suite. Ça nous a pris un certains nombre de temps, et d’argent, d’ailleurs. »« On parle de techniques d’autoconstruction, mais il y a un lien entre le financier et le technique, c’est-à- dire que le fait d’avoir une décennale permet d’avoir une dommage-ouvrage, et ça permet qu’une banque accepte de financer, notamment pour des primo-accédants qui n’ont pas 30 ou 40 % d’apports. Quand vous avez peu d’apports, ce que regarde la banque c’est le risque, c’est logique, c’est légitime. Quand vous avez peu d’apports et qu’en plus vous ne pouvez pas dire que vous pouvez construire, et que ce que vous allez construire c’est assuré, on ferme. À Langouët, la décennale est portée par le maître d’ouvrage, donc Néotoa. Ce qui veut dire que quand on va revendre aux habitants, ils auront exactement les mêmes garanties qu’une entreprise, avec une décennale, une dommage-ouvrage, même si c’est eux qui ont assuré une grosse partie des travaux. Et face aux banques, à la limite, les autoconstructeurs aujourd’hui pourraient presque ne pas parler d’autoconstruction : ils disent qu’ils achètent à Néotoa, qui est connu comme le loup blanc, c’est en VEFA, donc décennal et dommage-ouvrage. »Le projet s’adresse à des personnes qui n’ont pas forcément des compétences techniques particulières, mais une capacité à consacrer du temps à la construction, de l’ordre de 3 week-ends sur 4 et toutes les vacances pendant 18 mois. Le public visé ne peut pas se permettre de se passer d’un salaire pendant le temps des travaux. Une autre condition est une envie de s’investir sur un projet collectif et solidaire : les 10 maisons se construisent en même temps. Ce critère figure parmi les principaux pour les candidatures. Enfin, il faut tout de même avoir des apports et une capacité d’emprunt, de l’ordre de 500€ sur plusieurs années, pour financer les 135 000€ prévus. Ce budget prévisionnel de 135 000€ par logement repose sur l’autoconstruction, mais aussi sur des subventions, soit de la commune, soit de la défiscalisation, soit des collectivités publiques.

    « Nous devons mobiliser des partenaires, accompagnement technique, accompagnement pédagogique, assurances, juridique, économique, en impliquant les habitants. On est sur cette posture-là, politique, qui induit un certain nombre de choix. L’un des enjeux était de mobiliser les partenaires, pour travailler la reproductibilité. Il y a un bailleur social, Néotoa, le plus grand bailleur social du département. Ensuite il y a la Ville, la Communauté de communes, le Département, la Région, et la Fondation Macif. Nous proposons à des collectivités de faire une action, et de s’obliger à résoudre des problèmes, et de convaincre par l’exemple. Nous voulons impliquer les politiques publiques dans la démarche, là on est sur la dynamique du lien social, de l’implication citoyenne, le fait d’avoir 10 familles qui font 10 maisons dans une toute petite commune, ça a des implications assez importantes. On est sur un enjeu qui vise la reproductibilité de la démarche. Ce n’est pas de le faire une fois, même si c’est tout à fait légitime de le faire une fois, l’objet c’est de le faire et, de pouvoir le reproduire après, même si ce n’est pas forcément de la
    même manière. Et ça ça a des implications sur les choix qu’on prend. Notamment, l’inscription dans la politique publique, ça a été inscrit dans le Plan Local de l’Habitat de la communauté de commune où ça se met en place, au titre de l’accession sociale à la propriété, et plus seulement au titre de l’ESS. Ce qui veut dire qu’on mouille les partenaires dans cette démarche-là, parce qu’on ne peut pas prendre tous les risques. L’implication forte de partenaires, collectivité et bailleur social, donc effectivement, le fait de travailler avec un bailleur social, et un bailleur social connu, si on arrive à le montrer, c’est que si on arrive à montre que ça fonctionne, un autre bailleur social ne pourra pas dire après que ce n’est pas possible. Parce que la problématique de l’autoconstruction, c’est qu’on dit toujours que ce n’est pas possible. Et c’est peut-être quelque chose qu’on pourra travailler avec vous, un des enjeux qu’on a c’est d’évaluer et de valoriser cette question, y compris auprès de la Région. »

  12. Pour beaucoup, l’autopromotion est une dimension essentielle de l’habitat participatif, notamment dans les appels à projet de la Ville se Strasbourg, et pour beaucoup de groupes actuels ou des années 1970-80. Pour autant, il existe plusieurs voix pour défendre l’idée d’une promotion particulière, spécifiquement adaptée à la démarche de l’habitat participatif. C’est le cas d’Olaf Malgras, de la Coop de Construction, lors de l’atelier 5 d’E²=HP² : « Moi je vais surtout parler de l’expérience Le Grand Chemin, à Chevaigné. Au départ, c’est la volonté d’une commune de vouloir faire un habitat participatif, avec la participation des 12 familles habitantes dès la conception du projet avec l’architecte, et la participation d’un promoteur coopératif, qui est la Coop de construction. Depuis la première réunion publique début 2008, des gens qui ne se connaissaient pas ont travaillé ensemble sur ce projet. Inutile de vous dire que les 12 de départ ne sont pas les 12 de l’arrivée. Cela ne pose pas énormément de problèmes, puisqu’il y a des renouvellements. On peut dire quand même qu’il y a 4 familles qui ont été là du début à la fin. Le projet concerne 12 logements en accession à la propriété, dont 9 logements de type BBC et 3 de type passif, à des prix de marché autour de Rennes, c’est-à-dire tout compris 2 450 € /m2 habitable. Ils comptent des buanderies communes, une salle commune de 80m2 en autoconstruction, et un futur atelier. « Pour un promoteur, ce n’est pas plus long de faire un habitat participatif qu’un habitat classique, ça tourne autour de trois années. La seule différence, c’est que le temps où un promoteur travaille d’habitude tout seul ou avec son architecte, là il se déroule avec les habitants. Les habitants ont dessiné leur logement, participé aux appels d’offre et au dépouillement d’appels d’offre, et ont fait des choix techniques de fond.

    J’ajoute que, pour le promoteur, le fait d’avoir ses clients dès le départ est une réelle économie, puisque les frais de commercialisation n’entrent pas dans le prix de vente. » Pour les habitants, l’avantage de faire appel à un promoteur est qu’il garantit le financement en cas de dépassement de budget, de délais, et de logements vacants. « Nous pensions qu’il y aurait tellement de gens qui auraient envie de faire de l’habitat participatif qu’on n’aurait eu aucun problème à remplacer des gens qui partiraient. Mais, à la livraison en juin 2012, nous avions 2 maisons qui n’étaient pas vendues. C’est-à- dire que nous portions, nous promoteur, les 2 maisons en question. Nous en avons vendu une très vite, et nous sommes encore propriétaire d’une maison. Mais ça n’a pas d’incidence sur les habitants. »

    « Au niveau du financement, il y a habituellement des espaces partagés qui sont financés par les acheteurs : les couloirs, les cages d’escalier… Il ne faut pas oublier ça. En fait, dans le prix de votre appartement, vous avez déjà des locaux partagés. Les habitants du Grand Chemin ont accepté de réduire leur surface privée parce qu’ils avaient des surfaces partagées. Autrement dit, quand vous faîtes la communion de votre petit, vous pouvez la faire dans la salle commune, et non pas dans votre salle de séjour. Les habitants ont bien fait cette démarche. »
    « Nous avons distingué deux copropriétés : une première copropriété regroupe l’ensemble des 12 logements, c’est une copropriété tout-à-fait classique, ce qui permet la garantie décennale et toutes les garanties que propose un promoteur ; une seconde copropriété concerne les locaux partagés, hors garantie décennale, puisque c’est en autoconstruction. Nous avons pu réinjecter dans les locaux communs une partie du financement du logement : nous leur avons payé tout ce qui était chape et toiture. Et eux ont fini les murs de l’espace commun et du hangar. »

  13. La démarche d’un collectif de particuliers construisant un bien collectif pour eux-mêmes est pour le moins inhabituelle, du moins en France depuis la loi Chalendon de 1971 : les services de viabilisation (branchement à l’électricité, au gaz, à l’eau, aux télécommunications) et les assurances sont généralement perdues quand ils ne peuvent ni cocher la case “promoteur construisant un bien pour le vendre”, ni la case “particulier construisant un bien individuel”… Ce sentiment de construire un projet “en dehors des cases” se confirme par ailleurs avec les autres institutions, telles que les collectivités, les bailleurs sociaux… C’est sans doute là le prix à payer (accompagné d’une certaine fierté !) de monter des projets dits “innovants”, à propos desquels s’entend souvent l’expression de “pionners” qui “paient les pots cassés”, avec l’idée sous-jacente que la démarche devrait se banaliser davantage au fur et à mesure de la prise en compte des expériences.
  14. Notons au passage que plusieurs groupes fondés dans les années 1970 à 1990 sont passé progressivement d’une logique d’autogestion de l’entretien du logement à l’appel à des services tiers. Deux raisons expliquent cela : l’avancement de l’âge des habitants, et le constat que ce sont toujours les mêmes qui assurent le travail domestique [soirée publique E²=HP² de l’atelier 4 ; Éco-habitat groupé, 2014].