Petit historique des questions économiques de l’habitat participatif

Un mouvement qui s’institutionnalise

L’habitat groupé n’est pas une problématique nouvelle [Bacqué, Carriou, 2012], mais une nouvelle génération la remet en lumière depuis la fin des années 2000, jusqu’à parler d’une « effervescence de l’habitat participatif » [Carriou, Ratouis, Sander, 2012]. Ce mouvement se développe sous forme de multiplication de projets d’habitats groupés (plus de 400 projets identifiés en 2013 par le recensement non exhaustif d’Émilie Cariou, de l’Association de Développement de l’Économie Sociale et Solidaire Pays de Brest), de regroupements sous formes de réseaux (Réseau Inter-Régional de l’Habitat Groupé, Coordin’action Nationale de l’Habitat Participatif…), de créations ou renaissances d’associations qui prennent en main cette thématique (Habicoop, Éco-Habitat Groupé – ex-Mouvement de l’Habitat Groupé Autogéré, etc.), auxquels s’ajoutent progressivement d’autres types d’acteurs, tels que des professionnels qui se spécialisent dans le secteur (promoteurs, accompagnateurs, architectes, etc. dont une partie se regroupe dans le Réseau National des Acteurs Professionnels de l’Habitat Participatif), des universitaires qui prennent ce terrain comme laboratoire d’observations, et des collectivités publiques à différentes échelles, dont une partie se regroupe dans le Réseau National des Collectivités en faveur de l’Habitat Participatif, qui cherchent à développer et à réguler le secteur. Cela témoigne de l’évolution d’une grande partie de cette « nébuleuse » de l’habitat groupé [D’Orazio, 2012], renommé de plus en plus souvent habitat « participatif » par cette occasion, dans une phase « d’institutionnalisation » [Devaux, 2012, 2015] 1.

Une attention particulière est portée en ce moment (années 2010) sur les problématiques économiques de l’habitat participatif, comme si le mouvement en était à ce stade de maturation : celui de la mise en opération concrète des outils financiers pour permettre une plus grande généralisation de la démarche.

Cette situation s’intègre dans une histoire croisée de la prise en compte des problématiques économiques par les acteurs de l’habitat groupé depuis la fin des années 2000. Les besoins en matière d’outils juridiquo-financiers spécifiques ont été identifiés lors des Rencontres nationales (Nantes 2009, Strasbourg 2010, Grenoble 2012…) et régionales sur l’habitat groupé (une rencontre chaque année en Bretagne depuis 2008). De ce constat, l’association Relier et son réseau organisent en 2011 une enquête auprès d’une centaine de groupes d’habitat groupé. Les résultats de cette enquête [Relier, Bureau d’étude Minute papillon, 2011] ont participé à la mise en place d’outils spécifiques, parmi lesquels Batis-cité, Cofinançons notre habitat, et Habitat Participatif et Finances Citoyennes (voir les descriptions ci-dessous).

Dans le même temps, le thème est traité au cours de la concertation en vue de l’écriture de l’article 47 de la loi ALUR, visant à créer un statut juridique pour de l’habitat participatif, et de l’article 77bis de la même loi visant à créer les organismes de fonciers solidaires [CLT France]. Ce débat prend forme dans les commissions ministérielles, et dans la Démarche Collective d’Innovation, commission active de décembre 2012 à mars 2013, qui regroupe une dizaine de groupes pilotes en matière d’habitat participatif, des associations, la Fédération des coopératives HLM, des représentants des banques et des assurances, de la chambre des notaire, et du monde politique. La loi est votée en 2014, mais le débat continue quant aux décrets d’application.

 

Des nouveaux outils financiers pour l’habitat groupé
Plusieurs outils financiers sont actuellement en construction :

  • Cofinançons notre habitat : outil co-créé par le réseau Relier (association de soutien aux projets ruraux innovants), Éco-Habitat Groupé, la Nef, Habitat solidaire (coopérative promoteur, surtout implantée en région parisienne), et Pacte Sud-Est (partenaire des collectivités pour monter des programmes sociaux). Il s’agit d’une coopérative financière qui met en place un système de financement citoyen pour financer des démarrages de projets d’habitats groupés, des achats de foncier, des gros travaux, des constructions de parties communes, ou des logements momentanément vacants. Cet outil est soutenu par le programme d’investissement d’avenir (PIA) de la Caisse de Dépôt et Consignation, dans une logique de développement durable et d’économie solidaire. L’association est créée depuis novembre 2013, elle est en phase de recherche de capitaux pour débuter son activité 2.
  • Habitat participatif et Finances Citoyennes (HPFC) est une association créée en 2012, dans les réseau des associations Relier et de Co-finançons notre habitat. Son objectif est d’avancer la réflexion sur le thème du financement de l’habitat groupé. A son actif, l’association a organisé des rencontres en septembre 2013, dont ils ont rédigé un livret disponible en ligne 3.
  • Batis-cité, porté par la Nef (banque solidaire) en 2013. L’objectif était de créer des fonds d’investissement pour des projets d’habitat groupé, notamment en ce qui concerne le financement des parties communes. Les premiers appels à projets étaient prévus en 2014, mais le projet est aujourd’hui mis en sommeil 4.
  • Article 47 de la loi ALUR (dite loi Duflot) 5 : l’article relatif à l’habitat participatif a pour objet de créer un cadre juridique clair et officiel aux démarches d’habitat participatif, aussi bien dans la phase de construction que de gestion. La démarche de l’habitat participatif est reconnue dans ses formes diverses, et deux statuts spécifiques sont créés : la « coopérative d’habitant » et la « société d’autopromotion ». La dimension économique est proéminente dans une majorité des articles de cette loi. De tels statuts permettent d’obtenir des prêts bancaires sans passer par des créations combinatoires de statuts. Un fonds de provisions est rendu obligatoire en cas de dépense conséquente, pour financer des travaux ou des logements vacants. La loi est actuellement en cours de discussion au niveau de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Plusieurs problématiques se posent encore, notamment la question de la reconnaissance de la valeur de la caution hypothécaire de logements particuliers auprès des organismes bancaires, et la question de la définition précise de la « garantie financière » pour les démarches d’autopromotion, distincte de la « garantie financière d’achèvement », qui est obligatoire pour tout promoteur immobilier classique depuis la loi Chalandon en 1971 – loi qui avait mis fin aux précédentes coopératives d’habitants.

 

Les Organismes Fonciers Solidaires, les Community Land Trust

Parmi les initiatives connexes au développement de l’habitat participatif, citons l’article L. 329-1 de l’Article 77 bis de la loi ALUR (dite loi Duflot), qui  donne un cadre juridique pour la création d’organismes fonciers solidaires, par lesquels la propriété foncière – propriété de l’organisme – est détachée de la propriété des logements – en droit réel pour les habitants, sous forme d’accession à la propriété ou de baux de longue durée. Ce dispositif s’inspire des Community Land Trust des pays anglo-saxons et belges, que l’association Community Land Trust France, créée en décembre 2013, cherche à adapter aujourd’hui au territoire français. 6.

 

La banalisation de la démarche de l’habitat participatif

Samuel Lanoë (Epok, coopétative d’accompagnement de projets d’habitat participtif) : “Aujourd’hui, en conséquence de la loi ALUR et de la reconnaissance institutionnelle, l’habitat participatif est en train de devenir quelque chose qui s’apparente à un produit. Est-ce que c’est bien, est-ce que ce n’est pas bien ? En tous cas, on commence à voir des promoteurs qui lance des projets packagés. Est-ce que ça va faciliter l’accès au foncier pour l’habitat participatif ? Peut-être qu’il y aura plus de marges de négociations avec les aménageurs privés qu’avec les aménageurs publics ? Il n’y aura pas du tout le processus long, fastidieux, mais qui fait peut-être aussi l’essence de l’habitat participatif, par la constitution d’un groupe, d’un projet, d’un collectif… Est-ce que le fait d’arriver dans un produit « participatif » va permettre de déclencher du collectif, ça je ne sais pas, c’est un autre débat. Aujourd’hui, on en est là.”
(E²=HP² atelier 4)

 

 

Notes

  1. Lire et écouter la conférence de Camille Devaux lors de l’atelier 4 de E²=HP² à propos de « la mise en politique publique de l’habitat particpatif »
  2. voir leur site internet : http://www.scic-cnh.fr/
  3. www.reseau-relier.org/IMG/…/actes_rencontres_hpfc_sept2013_web.pdf
  4.  http://www.bati-cites.fr/,  http://cdurable.info/Bati-Cites-un-outil-financier-citoyen-au-service-d-un-habitat-ecologique-et-humain.html
  5. http://legifrance.gouv.fr/eli/loi/2014/3/24/ETLX1313501L/jo/article_47, http://www.caue92.fr/IMG/pdf/1_hp_alur._isabelle_mesnard.pdf
  6. voir notre page à propos des Community Land Trust dans le contexte français, le site de Community Land Trust France et l’article http://www.liaisons-urbaines.com/le-community-land-trust-ou-comment-acheter-une-maison-sans-le-terrain/