Community Land Trust

PRESENTATION DU COMMUNITY LAND TRUST
dans le contexte du développement de l’habitat participatif en France des années 2010
par Christian Faliu (architecte, agence Cosmos 2001 ; membre de l’association Community Land Trust France)
lors de l’atelier E²=HP² n°3, relatif au foncier.

 

Présentation du Community Land Trust dans le contexte français

Christian Faliu : “La première chose que je voulais dire, c’est qu’il y a une grande différence entre les projets d’habitat groupé des années 1970-1980 et ceux des années 2000. En 1970-1980, les gens étaient dans des démarches autonomes, d’ailleurs ça s’appelait “l’habitat autogéré”. Ils n’avaient pas pris le pli, comme on le fait aujourd’hui, d’aller demander des subventions, en considérant qu’il s’agit d’une démarche d’ordre d’intérêt général ou social. Ils ne se sont pas mis en association, ils se sont mis en SCI tout de suite. C’est-à-dire qu’ils ont pris la posture d’un statut professionnel. D’ailleurs ça a posé des problèmes, parce qu’à l’époque quand on n’avait pas les cartes professionnelles en main, on ne pouvait pas déposer de permis collectif. Je pense que c’est deux choses à regarder, et qui vont être un des points que nous, dans l’association CLT France [Community Land Trust], on va avoir à gérer, parce que ce sont des contextes où on positionne les statuts des acteurs. Et ces statuts d’acteurs vont avoir des conséquences à la fois juridiques et financières, avec un effet temporel. Ce que je vais vous présenter maintenant, c’est sur le site internet du CLT France. Le processus est en train de se mettre en place avec des chercheurs, des représentants d’associations, les Robins des villes, HESP’ère 21, le groupe CLT Bruxelles, des personnes physiques – en général ce sont des architectes ou des urbanistes-, et puis des sociétés. Pour le moment on est une des seules entreprises [Cosmos 2001] à être rentrée, mais il y a en a d’autres qui sont en train de rentrer, avec des majors, ce qui me fait peur, je n’imagine pas les dégâts collatéraux si Veolia ou Nexity rentre un jour… L’exposé, ça va être très rapide, c’est en cinq points.

Qu’est-ce qu’un CLT ? C’est relativement simple, trois éléments structurent sa particularité :
– faire en sorte que le terrain devienne une valeur qui ne soit plus une variable. Donc on extrait le terrain de la valeur du prix, que le CLT va céder ou louer, avec le fait que l’on inscrit dans la valeur du prix le calcul du prix de revente.
– une garantie de nouvel acquéreur à long terme. Ça revient à la pérennisation d’une subvention, pour éviter qu’elle fonde dès les réattributions, ou pendant seulement quelques années.
– maintenir les mêmes droits et obligations, systématiquement, tout au cours de la vie du bâtiment. C’est-à-dire qu’on peut avoir des évolutions des modes d’occupation, mais les problèmes de droits et d’obligations seront toujours gérés.

Le deuxième élément, c’est la destination du terrain. Le Community Land Trust est définitivement propriétaire du terrain. Ce qui posera question en France avec les outils urbanistiques tels que les POS, PLU, SCOT, … ou avec le droit de préemption. Les destinations des terrains, c’est du tout azimut. Il n’y a pas de ségrégation par rapport à ça, cela à la fois pour avoir des arguments contre l’accusation de concurrence déloyale, ce qui est très sensible dans les pays anglo-saxons, et à la fois pour permettre une mixité, dans l’organisation du programme pour son équilibre d’une ingénierie financière durable, qu’on puisse intégrer aussi, comme le font les Allemands, des éléments qui sont des éléments d’activité ou de services à la personne, et qui auront leur propre économie de retours sur investissements sur le projet.

Troisième point, la gouvernance, c’est favoriser la participation des habitants aux activités du CLT.
Dans les CLT, il n’est pas question d’habitat participatif. L’habitat participatif peut être intégré dans le processus, mais ce n’est pas un processus fait pour l’habitat participatif. C’est fait pour permettre à des gens qui sont en dessous des seuils normaux d’accession à la propriété ou à la location par rapport à leurs revenus d’accéder à un logement. En France, c’est pour des populations qui sont premier, deuxième et troisième déciles. Eux, ils peuvent rentrer dans le CA du CLT. Ils vont être dans la gouvernance de cette maîtrise d’ouvrage globale. C’est les gens qui sont dans le CLT qui élisent librement les membres du CA. Les gens prennent par délégations des responsabilités électives, et à partir de ce moment-là les municipalités, entre autres, peuvent nommer des gens au siège quand ils sont partie prenante. Et puis, avec la représentation à part égale entre la société civile, les locataires, et les représentations des collectivité, on est sur un système de représentation dans lequel on ne laisse pas de leadership, de majorité, ou de minorité de blocage de fonctionnement. Voilà, ce sont les éléments.

Viennent ensuite plusieurs principes dans le fonctionnent des CLT. Acquérir et gérer, les deux vont ensemble : une fois qu’on acquiert on devient responsable dans le temps de ce qu’on a acheté. Ensuite, c’est réhabiliter, réaliser et faire réaliser ; donc, ce n’est pas forcément du neuf. Diminuer le coût immobilier, c’est injecter le bilan financier dans l’ensemble en le sortant, c’est-à-dire que tous les éléments des apports vont être cristallisés dans le terrain, c’est sanctuarisé. C’est l’idée que cette aide profite à plusieurs générations. C’est quelque chose qui est dans la continuité de la valeur d’usage, d’intérêt collectif. Les baux sont de longue durée. Conférer aux repreneurs des droits réels transmis hypothécables, c’est pour permettre que des gens puissent avoir une relation à un capital qui existe par rapport à ce qu’ils ont acheté, même si ce n’est pas eux qui ont été au début. Conditionner la conclusion des baux à des clauses particulières, c’est plafonner des ressources aux primo-accédants. Dans les analyses nord-américaines on se rend compte qu’avec ce calcul de loyer relativement bas, ou d’achat bas, les gens qui ne pouvaient pas devenir accédants ont acquis un capital qui leur permet d’aller dans le marché quand ils sortent du CLT. Ils n’ont pas perdu de l’argent, ils ont créé une épargne. Le plafonnement du crédit hypothécaire à hauteur de la valeur conventionnelle des biens, ça c’est une des clés qui empêche la spéculation. Le plafonnement des ressources des héritiers autres que le conjoint et des descendants du preneur, c’est une clause de verrouillage : si les descendants ont des moyens, ils ne vont pas pouvoir avoir le droit d’usage, de venir habiter, donc il va y avoir des cessions. On libère le volume pour des gens qui en ont besoin. C’est un ascenseur social. Les héritiers gardent le droit de pouvoir habiter là si ils sont dans les mêmes conditions de ressource. Si ils sont au-dessus, la personne qui a acheté va avoir une récupération de son capital et ça devient une transmission. Il n’y a pas de perte sur l’investissement. On revient sur les logiques d’assurance à capitalisation qui sont très fréquentes dans les pays anglo-saxons. Ce n’est pas le bien qui devient l’épargne, c’est leurs efforts pour acquérir le bien qui leur permettent d’avoir une épargne.

Le reste vous pourrez le lire en allant sur le site Community land trust. Vous pourrez y voir l’exemple du CLT de Burlington, le BCLT, dans le Vermont, qui compte 6000 membres. Il y a un effet de massification nécessaire, parce que sinon on ne dépasse jamais les seuils pour permettre d’avoir une temporisation que l’on maîtrise. Ils ont à peu près 1500 logements locatifs, 500 biens et maisons, ça fait 2000 logements à peu près. Au fil des mutations, le CLT parvient à reloger des ménages dont le revenu moyen est inférieur à celui de leurs prédécesseurs. Ils sont partis avec une cible à 80 % du plancher du coût social pour avoir une aide à l’accession, et aujourd’hui ils sont capables de reloger des gens qui sont à 68%, c’est-à-dire 12 points en dessous. En France, la loi a transcrit ces exemples-là sous forme des OFS, Organismes Fonciers Solidaires [article 164 de la loi Alur 2014].

 

Débats avec les autres intervenants

« Judith Fernandez (Responsable du Service Habitat de Lorient Agglomération) : C’est le logement social français !

Christian Faliu : C’est le logement social en France que les associations prennent en charge, pas ce que les bailleurs sociaux prennent en charge.

Judith Fernandez : On sait qu’à chaque fois qu’il y a une location d’un logement social, les familles qui arrivent après ont moins de ressources que les premiers locataires, toutes les études le montrent.

Christian Faliu : Sauf que là ils l’assument avec des choses qui continuent à tourner.

Judith Fernandez : Un logement social tourne, jusque présent, et heureusement ! On ne peut pas non plus jeter la pierre au logement social français, il loge quand même une bonne partie de la population française !

Christian Faliu : Je ne veux pas jeter la pierre au logement social français, ce que l’on constate aujourd’hui c’est qu’il y a beaucoup d’associations qui prennent en charge des gens qui passent à travers la capacité d’accueil du logement social.

Judith Fernandez : Oui, mais avec votre formule-là, ils passeront aussi au travers, à mon avis. Moi, ce qui m’intéresse dans ce que vous dîtes, c’est la dissociation du foncier avec le bâti. Après, le reste, que ce soit des locataires ou des propriétaires…

Maryvonne Loiseau (Les Toits Partagés, projet d’habitat participatif, Lorient) : Est-ce que, dans le cadre français, les baux emphytéotiques ne peuvent pas déjà assumer cette dissociation-là ? Pourquoi est-ce que les baux emphytéotiques sont si peu utilisés ?

Christian Faliu : Parce que personne ne prend la responsabilité d’organiser leur gestion jusqu’au bout, avec des gens, de façon cohérente. La différence, là, c’est que ce ne sont pas des promoteurs, ce sont des organisateurs sociaux.

Maryvonne Loiseau : Oui, comme des bailleurs sociaux. Mais peut-être que l’intérêt, par rapport au logement social, c’est que dans notre système les gens sont consommateurs de logement, c’est-à-dire que ils ne sont pas acteurs. Là, ils le sont. Ça, je pense que c’est une grande différence, et un grand intérêt de la chose.

Judith Fernandez : Comment peut-on être autre chose que consommateur quand on n’a pas de quoi payer son logement ? Tout un chacun devrait peut-être payer un loyer, encore faut-il avoir les moyens de le faire.

Pierre-Yves Jan (Parasol + Éco-Habitat groupé : associations d’habitat participatif) : On voit bien qu’il y a un débat. Parce qu’en fait, les CLT, ça pose le problème des systèmes anglo-saxons, avec des philanthropes, donc ça percute la question des politiques publiques, qui sont effectivement très importantes en France comparativement. Il y a déjà un grand secteur public, qui a déjà organisé un certain nombre de choses, avec un droit de préemption, des systèmes de contrôles du foncier, des systèmes du monde HLM. On s’aperçoit que ce système-là c’est pour les gens, sans les gens. Les CLT ont l’avantage de permettre éventuellement des apports citoyens pour s’intéresser à des domaines d’intérêt général, mais on ne voit pas comment le dialogue va se faire avec les politiques publiques.

Judith Fernandez : Je suis tout-à-fait d’accord avec vous, mais il ne faut pas que les gouvernements se disent « c’est pas grave, nous on ne fait plus, et c’est aux habitants de faire ». Ce que je reprocherais peut-être dans le modèle américain, c’est qu’on a cette impression que c’est parce qu’il n’y a rien qu’il y a ça. Je pense que les deux peuvent cohabiter, mais il ne faudrait pas que ça, ça prenne le pas sur ce qui se construit depuis les habitations à loyers modérés. »

(E²=HP² atelier 3)

Pour aller plus loin :
Le site internet de Community land trust France
http://www.communitylandtrust.fr/index.php

ATTARD Jean-Philippe : 2013, “Un logement foncièrement solidaire : le modèle des Community Land Trusts”, Mouvements, n°74, pp 143-153
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=MOUV_074_0143

BERNARD Nicolas, DE PAUW Geert, GÉRONNEZ Loïc : 2010, “Coopératives de logements et Community Land Trusts”, Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2073, pp 5-52,
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CRIS_2073_0005